Comment les Archéologues utilisent-ils la 3D ?

Voici les résultats d’un questionnaire de Juillet 2017 concernant la façon dont les archéologues, les spécialistes ou les topographes voient la 3D. Il a été réalisé dans le cadre de l’élaboration d’un rapport de licence intitulé « Pour l’utilisation de la modélisation polygonale en archéologie dans les phases de réflexion », dont la soutenance a eu lieu le 30 août 2017.

Le questionnaire, comportant 21 questions, avait pour objectif de révéler quels étaient les sentiments des acteurs de l’archéologie par rapport à l’utilisation des technologies 3D dans leur travail, que ce soit pour obtenir des données mesurables afin d’élaborer le rapport final d’opération ou dans un but d’illustration, pour la médiation par exemple.

Quelle est la structure qui vous emploie?graphique - quelle est la structure qui vous emploie

Cette synthèse se base sur les 137 réponses obtenues, majoritairement de la part des entreprises privées d’archéologie, mais aussi de services territoriaux / municipaux ou d’université.

Quel poste occupez-vous?graphique - quel est l'intitulé de votre poste

I – Les points positifs

Dans l’ensemble, les réponses sont très similaires. Quel que soit le métier exercé, l’image de la 3D est très positive et est perçue comme une pratique qui est amenée à se développer dans les structures archéologiques.

Pensez-vous que l’usage de la 3D est amené à se développer dans les structures archéologiques?
(de 1 -pas d’accord- à 5 -tout à fait d’accord-)

 

L’avis des spécialistes est un peu moins tranché à propos de l’utilisation de la 3D à d’autres fins que la médiation, 30 % étant d’accord avec le fait que la 3D est uniquement utile pour la médiation et la vulgarisation scientifique.
Tous les corps de métier pensent cependant que leur perception spatiale est faillible, que l’utilisation de la 3D peut les aider à avoir une meilleure représentation de l’espace et qu’il s’agit d’un véritable outil scientifique.

Réponses des archéologues

De même, une très large majorité considère qu’on peut utiliser les modèles 3D comme support de réflexion et qu’avoir recours à la 3D peut avoir un impact positif sur leur travail. La relative jeunesse de ces technologies n’est pas non plus un frein à leur utilisation.

Réponses des archéologues

En pratique, 75 % des employés de structures privées interrogés ont déclaré avoir des infographistes dans leur entreprise (20 % ne savaient pas s’ils avaient des collègues infographistes ou des infographistes indépendants à leur disposition). Pour ce qui est des personnes employées dans les services territoriaux ou municipaux, 20 % d’entre elles disent avoir des infographistes à disposition dans leur service. Les réponses des autres structures ne sont pas assez nombreuses pour êtres signifiantes. (2 réponses de l’Inrap, 1 réponse d’un SRA, 3 réponses de musées, 3 réponses d’universités).

67 % des interrogés affirment être déjà entrés en contact avec un infographiste 3D.

À la question de savoir s’ils savaient utiliser les outils de base d’un logiciel 3D, ont répondu par l’affirmative 18 % des archéologues, 13 % des spécialistes, 16 % des gens employés dans le secteur de la médiation et 64 % des topographes.

II – Les points négatifs

À la fin du questionnaire se trouvait un encart pour les commentaires éventuels des participants. Les voici résumés par thématique : (Je précise qu’il s’agit d’un résumé objectif qui ne tient pas compte de ma propre opinion).

Problèmes techniques

En ce qui concerne les données photogrammétriques, les responsables d’opération ne disposent pas de logiciels ou d’interfaces simple à prendre en main avec lequel ils pourraient exploiter les données 3D pour faire des coupes, des mesures, ce qui fait qu’ils préfèrent de bonnes photos, dessins d’objets ou relevés de terrain (plans, coupes et profils) en raison de leur facilité et rapidité de mise en oeuvre. Ce désintérêt les empêche de percevoir toutes les possibilités offertes par les nouvelles méthodes de relevé tridimensionnel (et l’infographiste ne peut pas penser à tout ce qui pourrait être utile à l’archéologue).

L’interface des logiciels 3d peut être déroutante…

Pour ce qui est des restitutions, la préférence va parfois au dessin au trait car cette technique permet une souplesse d’utilisation (possibilité de s’affranchir des règles de la perspective par exemple) que la 3D ne permet pas. En outre, l’exploitation des données de fouille permet n’importe quelle restitution 3D (en dessin manuel) alors que le modèle numérique est fixé à un instant donné et contient intrinsèquement un risque de perte de donnée lié au fait qu’on ne peut prendre des annotations comme lorsqu’on fait un relevé de terrain.

Pour résumer, les archéologues, topographes et autres utilisateurs potentiels des fichiers 3d recherchent donc un logiciel simple à prendre en main, avec une grande souplesse d’utilisation et qui permet de multiples annotations.

Problèmes de coût, de temps et/ou de compétences mobilisables

Pendant la fouille et la post-fouille

Dans le contexte de l’archéologie préventive, il y a beaucoup de réactions sur le fait que les moyens habituels sont déjà insuffisants pour mener à bien les études. Pour certains, consacrer du temps à la 3D est donc une aberration, car il faudrait affecter au spécialiste 3D des jours/hommes qu’ils n’ont pas.

Pour d’autres, dans un contexte purement administratif, les moyens traditionnels étant suffisants pour répondre au cahier des charges fixé par l’État, financer une prestation 3D reste compliqué. Ainsi même si ces outils sont jugés utiles, le coût du Lidar et de la photogrammétrie (coût du matériel, du logiciel et du recrutement ou de la formation du personnel) constitue pour certains le frein principal. De ce fait, la plupart des intervenants en archéologie préventive estiment qu’ils ont pour l’instant un rapport intérêt/coût très défavorable. D’un autre côté, on relève également l’importance d’associer complètement l’infographiste à l’ensemble de la démarche en soulignant que plus le travail en commun serait mené loin, plus les résultats seraient importants. Mais il n’y a pas assez de temps prévu pour les techniques 3D, et pas assez de temps de collaboration prévu entre l’infographiste et l’archéologue. Or à propos des restitutions 3D, on peut dire que si les données de départ son mal analysées, la restitution 3D sera mauvaise.

En l’absence de moyens et de compétences rapidement mobilisables, le recours à des restitutions sur papier est une bonne alternative pour tester la perception mentale qu’on peut avoir des bâtiments/sites fouillés.

Après la post fouille

Par manque de moyen pour tester des hypothèses en 3D après la fouille, c’est parfois le recours à la 3D pour de la communication qui permet de préciser, a posteriori, telle ou telle hypothèse. Pour certains archéologues, la question de l’utilisation de la 3D se pose uniquement lorsqu’ils ont du temps pour travailler sur des articles scientifiques, mais c’est apparemment assez peu fréquent. Il faudrait donc que les opérations d’acquisition 3D soient anticipées, que leur intérêt soit perçu, prouvé et admis, et éventuellement, que les archéologues soient formés.

Problèmes liés à la nouveauté de ces technologies

Il y a beaucoup de remarques sur la nécessité, comme pour toute nouvelle technologie, d’avoir une vraie réflexion en amont sur les apports de ces outils et sur l’utilisation qu’on souhaite en faire. Sans les rejeter, il faut les voir pour ce qu’ils sont : des outils au service d’une problématique. La tentation peut être grande, afin d’obtenir des crédits, de mettre un volet 3D dans un projet pour plaire aux décideurs (les élus par exemple) qui y voient un côté miraculeux sans percevoir tout le travail scientifique que cela nécessite. Ainsi, la 3D offre des possibilités remarquables, mais elle est parfois mise en avant pour des questions d’affichage, de communication, avec derrière un discours scientifique qui n’est pas à la hauteur des moyens humains et technologiques mobilisés.

Pour certain, c’est un effet de mode qui fait beaucoup de bruit, mais les résultats potentiels ne sont pas à la hauteur du “buzz” engendré.

Comme tout nouvel outil, il doit être utilisé à bon escient et ne doit pas toujours remplacer des méthodes plus anciennes et relativement efficaces (qui risqueraient de plus, de sombrer dans l’oubli) : l’axonométrie classique peut parfois aboutir plus rapidement à un résultat, peu de jeunes archéologues savent désormais se servir d’une lunette, d’un alidade, ce qui leurs permettrait pourtant de se passer parfois de la présence du topographe, y compris pour référencer des levés.

On déplore aussi sur les commentaires, l’inertie et les réticences du milieu archéologique à mettre en place des technologies trop innovantes. Les archéologues motivés doivent s’auto-former en plus d’avoir à convaincre les collègues récalcitrants. Cela est vécu comme une perte d’énergie et de temps.

Problèmes liés à l’unique recherche esthétique

Le problème serait d’utiliser les technologies 3D uniquement pour faire de belles images, des images d’illustration et de s’arrêter là sans les utiliser comme support de recherche, à l’image de ce qui s’est passé à l’arrivée des systèmes d’information géographique : certains s’en servaient uniquement pour faire de jolies cartes.

III – Dans la littérature scientifique

Pour aller au delà de ce questionnaire, à la lecture de différents articles, un des problèmes de la restitution 3D soulevé par les archéologues est qu’elle “fixe” un état qui n’est pourtant qu’hypothétique. Cela peut être renforcé par le côté hyperréaliste des rendus 3D. De plus, la personne qui visionne ces images n’a pas d’informations sur la quantification de l’incertitude.

 

Pour toute demande concernant les données brutes de ce questionnaire, n’hésitez pas à me contacter via le formulaire de contact.

Restitution d’un Théâtre du 19e Siècle

La Salle Berlioz

Le 27 mars 1840 était inauguré le “Théâtre Municipal de Limoges” qui sera rebaptisé “Salle Berlioz” en 1932. Ce théâtre sera démoli en 1953 après avoir été désaffecté pendant de très nombreuses années. Dès sa conception, ce théâtre souffrait de n’avoir qu’un nombre de places très limité (800 places).

Carte postale de la façade Nord du théâtre BerliozCarte Postale de la façade nord de la salle Berlioz, du côté de la place de la République

Plan des fondations du théâtrePlan de fouilles montrant une partie des fondations du théâtre (en violet). L’avancée de la face nord est bien visible. (Relevé Topo B.Hollemaert © Eveha 2016)

La restitution a été facilitée par l’utilisation d’un plan de fouille permettant d’avoir l’emprise au sol du bâtiment, et par l’utilisation de cartes postales des façades. Certaines façades étaient moins documentées (la façade sud par exemple), il a donc fallu faire des choix en concertation avec les archéologues lorsque les sources étaient insuffisantes.

Par où commencer?

La première phase de restitution s’est portée sur la façade nord (la plus documentée). La symétrie du théâtre a permis l’utilisation d’un “mirror modifier” afin de se concentrer sur une seule moitié du bâtiment.

Des détails sont apportés progressivement : modélisation des vases de toiture, des fenêtres… La section centrale est ajoutée pour “souder” les deux pans de la partie médiane de la façade nord.

La grande annexe est créée (à l’arrière plan) ainsi que la petite annexe (au premier plan). Des volumes ont également été ajoutés pour avoir une représentation basique du toit.

Création des ouvertures des annexes sur la façade nord, amélioration de la teinte des matériaux.

Les portes d’entrée des annexes sont modélisées, ainsi que les portes fenêtres du rez-de-chaussée. La modélisation de la façade nord est terminée, le travail sur la façade est peut commencer…

La façade est

La seule image à notre disposition n’est pas de très bonne qualité mais laisse apparaître la même structure que sur la façade nord.

Il ne manque plus que les vitrages…

La façade Ouest

Pour la façade ouest, on ne dispose également que d’une image ou le bâtiment est caché par une autre construction au premier plan :

Cette photo nous suffit pour dire que la façade ouest et la façade est sont construites sur le même modèle. Avec les dimensions du bâtiment, on déduit que cette façade ne comportera pas quatre, mais deux arches en largeur.

On voit la façade sud du batiment, mais le mur est plein,sans aucune baies.On peut maintenant se concentrer sur le dernier côté du bâtiment

La rue Saint-Martial, au premier plan, est représentée pour l’instant par un simple plan incliné. Pour retrouver la bonne inclinaison, on se base sur une étude ou la pente de la rue est représentée :

Plan d'un projet de théâtre pour la place de la république à LimogesIl s’agit d’un projet qui avait été présenté pour le théâtre… mais qui n’avait pas été retenu. Comme quoi toutes les sources peuvent apporter leur lot d’informations

La façade sud : ça se complique !

Comme dit plus haut, la façade sud est la moins documentée. On dispose d’un certain nombre de photographies prises d’assez loin, avec un angle de vue qui ne permet pas de distinguer des détails, ou ne montrant qu’une petite portion du bâtiment.

Ces images nous permettent quand même de distinguer un certain nombre de choses : emplacement et forme des fenêtres, des gouttières, devanture des magasins, escaliers. On voit également qu’au premier étage, le mur est enduit et que le porche de la porte de la petite annexe est arrondi alors que celui de la grande annexe est de forme rectangulaire et est surmonté d’une ouverture elle aussi rectangulaire.

Création des ouvertures

Modélisation de l’escalier d’accès à la place de la République côté petite annexe (à droite sur l’image)

Le travail sur la façade avance petit à petit…

Ajout des persiennes, goutières, cheminées, portes et boutiques

Il reste à travailler sur les matériaux pour avoir un rendu correct :

Enfin, le maillage et les textures de cette modélisation ont été optimisés afin de l’envoyer sur la plateforme Sketchfab.

Merci à Angélique Marty et à Xavier Lhermite pour le travail de recherche et de reflexion, et merci à Julien Denis, sans qui ce travail n’aurait pas vu le jour.

Le modèle 3D est maintenant © Eveha et est visible en ligne sous sa version Sketchfab :